« Violence partout, raison nulle part… »
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Violence partout, raison nulle part… La formule est abrupte, mais elle traduit une évolution inquiétante. Le terrorisme, sur tous les continents, a déclaré la guerre à la vie et à la civilisation. Sur la planète, la liste est longue des conflits déclenchés par des Etats ou par des groupes armés, qui jettent sur les routes de l’exil des populations menacées par l’insécurité et la pauvreté.
De nouveaux pouvoirs autoritaires émergent et font de la brutalité et de la violence – des actes ou des mots – les ressorts de leur action. Poutine, Trump, Erdogan, Orban sont les incarnations de ce basculement.
La démocratie n’est plus – si elle l’a jamais été – le modèle attractif, naturel, absolu, irrésistible. Les pays démocratiques sont eux-mêmes traversés par des tensions nouvelles qui les fragilisent.
En France, le populisme n’est plus l’exclusivité des nationalistes. Il a gangrené jusqu’au centre de l’échiquier politique. Tout devient affaire de victoire des uns sur les autres, des uns contre les autres. Tout débat se transforme en combat et exige la défaite totale de l’adversaire.
Stratégie de la tension
Au-delà de la violence inacceptable de quelques groupuscules, cette brutalité s’exprime sans fard sur les réseaux sociaux dans le confort de l’anonymat qu’autorisent les pseudonymes. La politique s’y résume de manière croissante à la polémique.
Cette brutalité, c’est celle du débat public où la « disruption » vaut la conviction, la « transgression » fait la réputation. Dans les médias, le slogan a remplacé l’argument, l’agressivité devient le charisme. Cette violence, les partis et les responsables politiques peuvent choisir de s’en accommoder, voire de l’encourager et « en même temps » de la déplorer.
C’est le choix que le gouvernement confirme, mois après mois. Loin de chercher à établir des ponts, à engager le dialogue pour bâtir des compromis, l’exécutif cherche au contraire à exacerber les oppositions les plus radicales, à mener une stratégie de la tension, à engager un face-à-face commode avec les positions les plus marginales, pour mieux se poser comme l’unique représentant de la mesure.
« Le pays aurait le choix entre deux maux, la purge libérale ou l’avènement des extrêmes. »
En témoigne sa volonté, face aux cheminots, aux fonctionnaires, aux étudiants ou aux retraités, de mettre en scène sa fermeté qui est surtout une fermeture. En résulte son mépris pour la négociation avec les partenaires sociaux, les associations, les ONG, les collectivités territoriales, ou les parlementaires…
Cette stratégie de la décomposition politique est assumée comme instrument de légitimation d’un agenda politique lui-même injuste et brutal en matière fiscale, sociale, sociétale, institutionnelle. Le pays aurait le choix entre deux maux, la purge libérale ou l’avènement des extrêmes.
Assèchement du débat public
Un tel assèchement du débat public, une telle absence d’espérance collective, le sentiment d’injustice que vient encore nourrir l’amnistie pour les exilés fiscaux, alimentent des colères sociales légitimes qui sont aussi une demande de dialogue et d’écoute.
Les Français résistent, car ils ne confondent pas la modernisation du modèle social et sa démolition. La stratégie dangereuse du pouvoir conduit à l’affrontement de tous contre tous, et entraîne le pays sur un volcan dont l’éruption devient chaque jour plus prévisible.
L’autre choix qui s’offre à chacun – responsable politique, acteur de la société civile, citoyen – consiste à refuser la brutalité au nom d’une conviction : la démocratie est fragile. Pour la fortifier et la conforter, la tempérance doit être préférée à la véhémence, la coopération à la compétition, la cohésion sociale à la division fiscale, la collégialité à la verticalité. Il n’y a là ni faiblesse ni mollesse mais justesse et sagesse.
Aux brutalités, identitaire, communautaire, idéologique, partisane, la politique doit opposer des réponses qui rassemblent, et non qui divisent ou stigmatisent : le soutien aux services publics, la décentralisation, l’économie de l’investissement collectif – technologique, écologique, social, culturel –, la démocratie dans l’entreprise, la progressivité de l’impôt, l’accès à la santé partout et pour tous, le respect du Parlement, des contre-pouvoirs et des corps intermédiaires, l’éducation tout au long de la vie, la participation des citoyens à la fabrique de la loi et des choix, la laïcité…
Régner plus que gouverner
La volonté jupitérienne de régner plus que de gouverner conduit le président de la République à privilégier l’affrontement sur le rassemblement, c’est-à-dire la pire des politiques qui, demain, peut nous entraîner vers la politique du pire.
« L’aspiration à la citoyenneté républicaine, l’entente européenne, la fraternité humaine sont vitales à la démocratie et à l’avenir. »
Agir devrait au contraire être l’art de fédérer, d’entraîner un pays sur des bases communes, de lui faire partager une vision de notre société et de son avenir. « La démocratie est d’abord un état d’esprit », écrivait Pierre Mendès France dans La République moderne (Gallimard, 1962). Il faisait siens le refus de la brutalité et le rejet de la violence.
L’aspiration à la citoyenneté républicaine, l’entente européenne, la fraternité humaine sont vitales à la démocratie et à l’avenir. La démocratie est une idée neuve. Elle est vulnérable et sa victoire n’est pas irréversible.
A l’heure où la verticalité des uns fait écho au populisme des autres, dans une commune brutalité qui fragilise la démocratie, je revendique une autre méthode. Une méthode qui fonde l’action publique et le changement sur l’écoute, le dialogue, le compromis, le consentement, la valorisation du pluralisme et le respect de la liberté et de l’autonomie de chacun.
Je ferai entendre cette voix, aujourd’hui bien singulière, dans le paysage politique français. La démocratie ne peut être qu’un humanisme qui fait prévaloir l’esprit des Lumières sur celui de la déraison. C’est l’héritage républicain que nous a laissé Jean Jaurès. Jusqu’à présent, il n’a pas d’autres héritiers que les socialistes.
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